Dans
ses Mémoires, Polaire rend hommage à Willy, dont elle
admirait " l'érudition
surprenante " qui la plongeait
" dans la plus vive admiration ",
mais également au couple Gauthier-Villars : " Je
puis dire que dans le développement de mes petites facultés,
je dois plus au ménage Willy qu'à toutes mes autres
fréquentations, avant ou après Claudine. "
Si l'élève était modeste et eut des maîtres
éminents, elle n'en fut pas moins douée car, presque
illettrée lorsqu'elle arriva en France, elle entretint avec
ses contemporains une abondante correspon-dance dont elle n'eut
pas à rougir.
Polaire évoque également « l'épisode »
des twins, fruit de l'imagination fertile de Willy qui, pour
attiser l'intérêt du public pour Claudine à
Paris, imagina de s'afficher en public avec Colette et Polaire
vêtues de costumes identiques. De là vient peut-être
la légende de relations saphiques entre les deux jeunes femmes,
mais également celle, moins vivace, d'une relation amoureuse
entre Polaire et Willy. François Caradec rapporte que Polaire
et Willy ont confié l'un et l'autre à Pierre Varenne
qu'ils ne furent jamais amants, et il considère qu'ils n'avaient
aucune raison de cacher la vérité trente ans après,
car " ce genre de pudeur
ne les étouffait pas, surtout Willy ! ". (1)
Fin avril 1903 débutent les représentations
du P'tit Jeune Homme, aux Bouffes-Parisiens. Polaire y interprète
le rôle d'un travesti qui " l'excédait "
(2).
Selon Colette la pièce était médiocre. Elle
eut cependant la faveur du public.
Le 1er octobre 1904, au Gymnase, est créée Le Friquet,
une pièce de Willy tirée d'un roman de Gyp. Polaire
y interprète le rôle du Friquet, une jeune saltimbanque
secrètement éprise d'un homme qui se laisse séduire
par une femme fortunée aux mœurs faciles. Le Friquet, désespérée,
se suicidera lors d'un numéro de trapèze.
Catulle Mendès écrit que Polaire " a
encore des témérités, et encore des inexpériences.
Mais il y a eu, ce soir, dans celles-là, quelque chose qui
ressemble à une volonté d'art, et dans celles-ci quelque
chose qui ne garde plus guère, de la maladresse, que la sincérité ". (3)
Et il déplore " qu'il
soit si rare, dans les bals de l'aristocratie, que les belles dames
fassent ainsi la roue, pendant le repos des valses. "
La pièce remporte un très vif
succès et, en 1913, elle sera transposée à
l'écran par Maurice Tourneur. C'est également Polaire
qui interprète Le Friquet dans cette adaptation dont plusieurs
séquences ont été conservées.
Lors d'une projection du film sur les Champs-Elysées, Polaire
remarque " que ça durcit
les traits, le ciné... "
et raconte au journaliste Michel Georges-Michel que " là
où l'on a joué (4),
il y a des bonnes soeurs. On leur a assuré que la pièce
est très morale, bien que l'on s'embrasse, vous verrez. " (5)
Les Hannetons, une comédie d'Eugène Brieux
créée le 2 février 1906, constitue une étape
importante dans la carrière théâtrale de Polaire
puisqu'elle y donne la réplique à Lucien Guitry. Eugène
Brieux observe que " Mlle
Polaire, à force de travail, de volonté et d'intelligence,
est en passe de devenir une véritable comédienne et
une comédienne de grand talent. " (6)
Début 1910, Polaire est à Londres
où elle donne avec succès une série de représentations.
Cependant ses pensées sont accaparées par la pièce
que Pierre Louÿs a adaptée de son roman La Femme
et le Pantin.
Ses talents de comédienne et de danseuse prédisposaient
Polaire à interpréter Concha. Cependant, suite à
un différend avec l'auteur, elle sentit que le rôle
allait lui échapper. Elle tentera pendant plusieurs semaines
de fléchir Pierre Louÿs, mais la pièce sera créée
par Régina Badet.
Signalons que, dans Mes Apprentissages, Colette mentionne
un certain Pierre L... comme étant le compagnon de Polaire
à l'époque où elle jouait Claudine à
Paris. Il est généralement considéré
que ce Pierre L... était Pierre Louÿs. Pour leur part
Claude Pichois et Alain Brunet (7)
estiment qu'il s'agissait en réalité de Pierre Lafitte
qui fut, entre autres, le directeur de la revue Femina. Certaines
allusions dans la correspondance échangée par Pierre
Louÿs et Polaire lors de leur désaccord au sujet de
La Femme et le Pantin nous incitent cependant à privilégier
la première hypothèse.
La détermination dont Polaire faisait preuve lorsqu'elle
avait la conviction qu'un rôle devait lui revenir lui permit
de passer assez vite du statut de gommeuse à celui d'actrice.
Mais son obstination tournait parfois à l'acharnement, ce
qui indisposa de nombreux auteurs.
Elle n'ignorait pas, du moins en 1933, que sa nature impulsive pouvait
lui nuire et elle évoque dans ses Mémoires l'entretien
qu'elle eut avec André Antoine, directeur du théâtre
Antoine et " maître incontesté
de l'art dramatique ", celui
dont " un seul mot
[...] consacrait une réputation ".
A cette époque son nom était
affiché " en lettres
énormes " sur les
murs de Paris pour les concerts qu'elle donnait à la Scala
ou à l'Eldorado, mais elle n'avait aucune expérience
du milieu théâtral et ne pouvait " auditionner
dans une scène quelconque, classique ou moderne ".
Elle évoqua donc son enfance, sa " réussite
foudroyante " au café-concert,
et parla de son ardent désir de se consacrer au théâtre.
" Comme toujours, je m'agitais
frénétiquement, je parlais trop, et trop vite, mais
une flamme intérieure me dévorait ".
Quand elle eut fini, Antoine se leva pour s'écrier :
" Savez-vous que vous êtes
effrayante ?... Positivement, vous m'effrayez !... "
Willy, fort heureusement, fut plus réceptif à la détermination
de Polaire.
Durant l'été 1910, Polaire se rend « en
Amérique » pour une série de représentations
qu'elle doit donner, durant quatre semaines, au Victoria Variety
de New York. Elle est tout d'abord surprise par l'attitude des journalistes
américains qui " vous
suivent sans rien dire ; ils s'attachent à vous comme
des silhouettes de cauchemar... ". (8)
Puis choquée lorsqu'elle découvre une affiche qui
la présente comme « la femme la plus laide du monde »
et lui donne l'apparence d'un " gros
édredon de plume, serré au maximum en son milieu par
un fil ".
Le haut de son " corps rappelait
Jeanne Bloch, et le bas évoquait nos plus robustes percherons ! ".
William Hammerstein, le directeur du Victoria Variety, avait eu
l'idée de cette publicité tapageuse pour rameuter
le public new-yorkais. Celui-ci ne fut pas dupe et s'aperçut
rapidement que Polaire n'était pas un animal de cirque, mais
une artiste de talent.
Le succès fut tel qu'elle resta à l'affiche huit semaines
(9)
au lieu des quatre qui avaient été initialement prévues.
William Hammerstein " n'eut
pas à se plaindre : la salle était comble aux deux
représentations quotidiennes ".
Polaire non plus qui touchait six mille francs par jour.
|
" J'ai
joué là-bas un acte où il y avait du chant, de la
danse, du drame, quelque chose qui donnait un peu le frisson à
ces Américains saturés de drôleries. "
(10a)
Son triomphe influe même sur la mode : " On
porta des chapeaux, des corsets, des ceintures, des coiffures Polaire.
J'ai servi de marraine à un assortiment complet ! "
(10b)
Elle est reçue par la haute société américaine
et éprouve de la sympathie pour Adolf Pawenstead, " cet
allemand dont on parla tant pendant la guerre ".
" Pawenstead ressemblait à
mon père, ce qui m'inclina peut-être à préférer
sa compagnie. Il m'appelait sa petite princesse française. "
Pour son retour à Paris, Pawenstead
lui a retenu une suite sur le Kaiser Wilhelm II. Là,
parmi de nombreux présents, se trouve celui que lui ont offert
les " Schweister
[?] qui étaient les Rotschild de là-bas " :
présentée dans un superbe écrin, une reproduction
du drapeau américain montée en boucle de ceinture,
avec " brillants,
saphirs et rubis... ". Avant
le départ du Kaiser Wilhelm, Pawenstead lui a fait
remettre un petit chèque pour qu'elle s'achète des
fleurs à son arrivée à Paris et pense à
ses amis de New York. "
Le « petit » chèque était de cent
mille francs ".
Nous avons insisté sur les avantages financiers que Polaire
a retirés de son voyage « en Amérique »,
non pour souligner leur caractère exceptionnel. Mais parce
qu'ils illustrent, bien au contraire, une constante de sa carrière
: la générosité de ceux qui l'ont aimée
ou admirée.
Parmi eux, Jules Porgès, un riche banquier, ou un marchand
de cognac, selon les sources, est souvent cité. Si l'on en
croit Claude Pichois et Alain Brunet, il versait à Polaire
" des
flots d'argent " (11a).
Citons également Auguste Hériot, héritier,
entre autres biens, " des
Grands Magasins du Louvre ",
qui fut un temps l'amant de Polaire à qui il offrit " sa
célèbre ceinture de diamants " (11b).
Alors qu'elle est déjà l'une des chanteuses les mieux
payées de son époque, Polaire habite 11, avenue du
Bois. Elle achète ensuite, au 53, avenue des Champs-Elysées,
un "
petit hôtel, style Trianon, éclairé tout blanc
par la lumière électrique que tamisent des vitres
brouillées ".
(12)
Début 1911, elle fait l'acquisition, rue Lord Byron, d'un
hôtel particulier qui fut la résidence de Mme Tallien
(13).
Dans un article publié en 1913 (14),
un journaliste constate que " Mlle
Polaire, avec son goût très sûr et son intelligence
parfaite d'artiste, a su retrouver le cadre où vécut
Mme Tallien. "
Elle achète enfin, à la même époque,
une villa à Agay, dans le Var, la Villa Claudine.
La fortune de Polaire est donc loin d'être négligeable
et lui permet de dépenser sans compter, ce qu'elle reconnaît
dans un entretien publié en 1926 : " Moi
l'argent... Pfft... les billets de banque me glissent entre les
mains comme des anguilles... j'ai des charges... il me faut mille
francs chaque matin en me levant... Je n'ai jamais su mettre un
sou de côté. J'ai l'économie en horreur. "
(15)
Dans ce même entretien Polaire fait allusion à sa passion
du jeu : " Aujourd'hui
à Longchamp on étouffait... j'ai perdu tout ce que
je voulais... je me rattrapperai (sic)
demain. "
Mais le plus souvent c'était au casino que Polaire s'adonnait
à cette passion. En 1928 Michel Georges-Michel se souvient
d'un " beau soir d'été, autour d'une table
de baccara, à Enghien, où Robert de Flers tenait la banque. "
La Belle Otero et Polaire " pontaient par liasses
de dix mille, de dix mille d'avant-guerre et faisaient par soirée
des différences de trois cent mille francs-or. "
(16)
Fin
1912 Polaire joue, au théâtre Réjane, le rôle
de Suzanne Granger dans Les Yeux ouverts, une pièce
en trois actes de Camille Oudinot. Dans Comoedia illustré
Ernest La Jeunesse écrit que Polaire est " étonnante
de désolation, de séduction, de violence, de volonté ".
(17)
Durant
l'automne 1913 Polaire fait une tournée dans le Nord et l'Est
des Etats-Unis. Elle joue en particulier un sketch de Didier Gold,
la Danse de l'assassin, qu'elle interprète un soir
devant le président Woodrow Wilson. " M.
Wilson était dans l'avant-scène de cour, avec d'autres
personnes. Il souriait. Il a applaudi très fort. On a relevé
sept fois le rideau. Et le président m'a fait féliciter
en me priant de croire que je suis la plus originale artiste qu'il
ait vue. " (18)
Après cette représentation elle se rend au Canada
" le
nez à la portière. Il y a, le long de la voie ferrée,
d'extraordinaires forêts rousses. " (19)
Page
1
Page 2
Page 3
1
François Caradec, Feu
Willy avec et sans Colette, Editions
J.J. Pauvert (1984).
2
Colette, En
Pays Connu (Trait pour Trait), in
Œuvres Complètes de Colette, Editions du Club de l'Honnête
Homme, Tome 11, pp. 310-311.
3
La Revue Théâtrale,
N° 19, octobre 1904. Article paru initialement dans Le
Journal du 1er octobre 1904.
4 Tourné.
5 Article
publié en 1912 dans un quotidien.
6
L'Illustration Théâtrale,
N° 27, 3 mars 1906.
7 Claude
Pichois, Alain Brunet, Colette,
Editions de Fallois, 1999.
8 Femina,
N° 232, 15 Septembre 1910.
9 Selon
un entretien avec Polaire publié juste après son
retour des Etats-Unis dans Comoedia
illustré, N° 23 - 1er Septembre
1910. Dans ses Mémoires, publiées plus de vingt
après, elle écrit qu'elle joua à New York
douze semaines.
10a 10b
Ibid.
11a 11b
Claude Pichois,
Alain Brunet, Colette,
opus cité.
12 Gil
Blas, 27 octobre 1906.
13
Epouse de Jean Lambert Tallien, qui fut envoyé à
Bordeaux pendant la Terreur. Sous l'influence de Thérésa
Cabarrus, son épouse, il se rangea parmi les modérés.
14
Extrait d'un article signé Robert Dorgeval, probablement
publié par un quotidien, le 14 janvier 1913.
15
Extrait d'un article d'Henri Jeanson publié le 31 juillet
1926 dans un quotidien.
16
Paris-Soir,
20 mars 1928.
17
Comoedia illustré,
5e année - N° 1 - 5 Octobre 1912.
18
Le Journal,
10 janvier 1914.
19
Ibid.
Sauf
indication contraire,
toutes les citations sont extraites de
Polaire
par elle-même
Editions Eugène Figuière, Paris, 1933
Tous droits réservés
Copyright 1933 by POLAIRE
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