1895 – Premier séjour de Polaire à New York

1895 – Polaire's first visit to New York  
Read this page in English



Licence Creative Commons

Cette page 1895 – Premier séjour de Polaire à New York
by Polaire-1900.com est mise à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Paternité-Pas d'Utilisation Commerciale-Pas de Modification 2.0 France

Nous avons toujours pensé, comme pratiquement tous ceux qui ont écrit sur Polaire ou s'intéressent à elle, qu'elle s'était rendue pour la première fois à New York en 1910. Elle y était arrivée le 4 juin à bord du transatlantique La Savoie, et en était repartie le 2 août à bord du Kaiser Wilhelm II.

Mais, en octobre 2010, nous avons reçu un mail de Mme Rita Lamb dans lequel elle nous demandait si nous avions des informations sur un séjour que Polaire aurait fait à New York en 1895. En pièce jointe de ce mail se trouvait un article du New York Times daté du 15 octobre 1895.

The New York Times - 15 octobre 1895

Proctor's Pleasure Palace. – « [...] Mlle. Polaire, la chanteuse française, est devenue une grande favorite de cette salle, et elle a chanté hier de nouvelles chansons qui ont été grandement appréciées par les nombreux spectateurs présents. »

Dans son mail, Mme Lamb nous précisait que « [in] editions of the New York Times there are several brief references to the appearance of an entertainer called "Mlle Polaire" ». Et en effet, après recherche sur le site du quotidien américain, nous avons trouvé six articles dans lesquels il est question d'une chanteuse nommée Polaire.

Le premier est celui que nous avons cité plus haut. Le second, qui est daté du 20 octobre 1895, indique seulement qu'en plus de la compagnie Weber and Field's
« qui se produira au Proctor's Pleasure Palace cette semaine », « il y aura les éléphants comiques de George Lockhart, Mlle. Polaire, la chanteuse française ; l'audacieux trio Zalva... ».

Le
27 octobre 1895, Polaire est de nouveau mentionnée brièvement :

The New York Times - 27 octobre 1895

Proctor's Pleasure Palace – « Les éléphants savants de George Lockhart continuent leurs merveilleuses performances au Proctor's Pleasure Palace. Les autres importations étrangères à l'affiche sont les Zalva et Mlle. Polaire, qui est devenue une grande favorite du public. »

Le 5 novembre 1895, le journaliste du New York Times écrit que « plusieurs favoris » du Proctor's Pleasure Palace continuent à s'y produire. « La nouvelle chanteuse française, Mlle. Polaire, est [l'un d'eux]. »

Dans son édition du 17 novembre 1895, le New York Times nous apprend que Polaire est passée de la scène du Proctor's Pleasure Palace à celle de Koster & Bial's : « Cette semaine au Koster & Bial's les nouvelles vedettes au programme incluront la première apparition publique en Amérique de Lorenz et Kennedy avec leur "mystérieuse télégraphie mentale", et la première apparition ici [au Koster & Bial's] de Mlle. Polaire, "chanteuse excentrique". (1) »

(1) En français dans le texte.

Le New York Times daté du
19 novembre 1895 parle de nouveau de Polaire que le journaliste présente comme une « importation parisienne » :

The New York Times - 19 novembre 1895

Koster & Bial's« Mlle. Polaire était une nouvelle artiste [sur la scène de Koster & Bial's]. Elle est l'une de ces importations parisiennes connues en tant que "chanteuses excentriques." Tous ceux qui sont allés dans les music-halls à la mode de New-York savent ce que cela signifie. »

Même si ces différents articles semblaient bien indiquer que Polaire s'était rendue aux Etats-Unis en 1895, il nous a semblé nécessaire de trouver une autre source qui le confirmait. Car nous ne pouvions totalement exclure, par exemple, une erreur d'indexation des articles en question. Même si elle nous semblait être hautement improbable, venant d'une aussi vénérable institution que le New York Times.

Et après d'assez longues recherches, nous avons trouvé un article publié dans The Daily Times (New Brunswick, N.J.) daté du 10 octobre 1895 (donc antérieur de cinq jours au premier des six articles du New York Times), dans lequel le passage qui suit confirme, sans aucun doute, que l'artiste dont il est question est bien Polaire :

The Daily Times - 10 octobre 1895

Proctor's Pleasure Palace, New York – « Les débuts américains de Mlle Polaire ont été un immense succès. C'est une chanteuse petite et piquante, possédant beaucoup de charme et si populaire à Paris que pendant deux ans elle était à l'affiche de l'Eldorado à égalité avec Yvette Guilbert. »

Polaire a donc fait ses « débuts américains » au Protor's Pleasure Palace. Et l'article du Daily Times étant daté du jeudi 10 octobre, nous pouvions penser qu'elle y avait chanté pour la première fois la veille, c'est-à-dire le mercredi 9 octobre 1895.

Mais nous avons ensuite trouvé un
« nouvel » article du New York Times daté du 8 octobre 1895 dans lequel il est question des nouveaux artistes proposés la veille à l'affiche du Proctor's Pleasure Palace. Parmi eux, Polaire, qui y a donc chanté pour la première fois le 7 octobre 1895.
Ajoutons que la description de la taille de Polaire,
« her waist was hardly more than a good span » (voir la traduction ci-dessous) lève les ultimes doutes que nous aurions pu avoir sur l'identité de la chanteuse dont il est question.

The New York Times - 8 octobre 1895

Proctor's Pleasure Palace – « La nuit dernière, presque tous les noms proposés à l'affiche du Proctor's Pleasure Palace, dans la 58ème rue, près de Lexington Avenue, étaient nouveaux. [...].
Une chanteuse française, nouvelle dans cette ville, est apparue sous le nom de Mlle Polaire. Sa jupe a été un objet d'admiration féminine, ses cheveux un modèle de confusion, et sa taille était à peine plus qu'un empan
(2). Ses chansons n'étaient pas toutes des nouveautés, mais elle les a interprétées de manière tout à fait originale et plaisante. De toute évidence elle trouvera agréable son séjour ici. »

(2) Distance comprise entre l'extrémité du pouce et celle du petit doigt très écartés (de 22 à 24 cm). Grand Larousse en 5 volumes (1991).

Quelques temps avant que nous recevions le mail de Mme Lamb, nous avions contacté une collectionneuse américaine amie de notre site pour lui proposer de lui acheter une cabinet card américaine faisant partie de sa collection. Ce qu'elle a eu la gentillesse d'accepter.

Nous avons fait suivre un scan de cette carte à Mme Lamb qui nous a appris que l'auteur de cette photographie de Polaire était Napoléon Sarony, un photographe américain connu en particulier pour ses nombreux portraits des célébrités du théâtre américain de la fin du 19ème siècle. Il est également l'auteur de nombreux portraits de Mark Twain et de Sarah Bernhardt.
Le studio de Napoléon Sarony était situé 37 Union Square à New York et c'est donc très certainement dans ce studio que Polaire a posé.

Mais un élément de la biographie de Napoléon Sarony a particulièrement retenu notre attention. C'est la date de sa mort, le 9 novembre 1896. Soit un an après la publication des articles du New York Times dont nous venons de parler.

Car cela signifie tout d'abord que cette carte constitue une preuve irréfutable que Polaire s'est bien produite à New York en 1895. Mais également qu'elle est un témoignage exceptionnel de son premier séjour dans cette ville. Polaire était alors âgée de 21 ans.

 




Polaire – Cliché Napoléon Sarony – Octobre 1895

PolaireOctobre 1895
Photographiée à New York par
Napoléon Sarony


Mais les doutes que nous pouvions avoir sur la réalité de ce premier séjour de Polaire à New York étant selon nous levés, il subsiste une question à laquelle nous sommes incapables de répondre, qui est la suivante : comment se fait-il qu'aucun des très nombreux documents d'époque consacrés à Polaire que nous connaissons ne mentionne ce premier séjour ?

Nous pensons, par exemple, aux articles publiés en France en 1910 dans de nombreux journaux et périodiques sur ce qui semblait être son premier séjour à New York. Aucun journaliste ne mentionne un précédent séjour qu'elle y aurait fait. Et Polaire elle-même, qui raconte ce (second) séjour dans de nombreux entretiens, n'en parle pas davantage.

Mais nous pensons également, bien sûr, à l'autobiographie de Polaire, publiée en 1933. Le séjour à New York qu'elle y évoque est celui de 1910 :
«
[...] l'impresario américain Maurice Gezt était venu m'offrir pour les Théâtres Hamestein (sic), à New York, un contrat des plus avantageux... » (3). Et un peu plus loin : « Ah ! cette arrivée à New-York ! La fameuse statue de la Liberté me fit d'abord l'effet de la bonne hôtesse... » (4). Rien n'indique dans ces lignes qu'elle s'était déjà rendue à New York quinze ans plus tôt. Tout accrédite au contraire l'idée qu'elle découvrait cette ville, avec un certain émerveillement.

(3) Polaire par elle-même, page 187
(4) Ibid, page 188

Bien sûr, ce second séjour fut entouré d'une bien plus grande publicité que le premier. Et cela aussi bien à New York (où les affiches imaginées par William Hammerstein la présentaient comme étant "la femme la plus laide du monde") qu'en France. Mais nous aurions pu penser que sa découverte de cette ville en 1895, alors qu'elle n'avait que 21 ans (et alors qu'elle n'était arrivée en France que cinq ans plus tôt), aurait mérité à ses yeux qu'elle l'évoque dans son auto-biographie.

Les articles du New York Times publiés en 1910 n'évoquent pas non plus un précédent séjour de Polaire à New York. Mais il possible que leurs auteurs n'en aient pas eu connaissance. Et le fait que Polaire ne l'ait pas mentionné aux journalistes américains qui l'ont interrogée est sans doute moins étonnant que le fait qu'il n'en soit pas question dans Polaire par elle-même. Car il est concevable que William Hammerstein lui ait demandé de n'en rien faire, pour ne pas nuire au sensationnalisme de la campagne publicitaire qu'il avait orchestrée avant son arrivée. Car parler de son premier séjour à New York aurait atténué le caractère exceptionnel de ce qui n'était en réalité que son second séjour dans cette ville.

C'est donc au Protor's Pleasure Palace à New York, le (lundi) 7 octobre 1895 que Polaire a chanté pour la première fois sur une scène américaine. La salle, située 58ème rue-Est entre la Troisième Avenue et Lexington Avenue, avait été inaugurée un mois plus tôt, le 2 septembre 1895 (le jour de la Fête du Travail).

Le Protor's
, aux dimensions "colossales", avait nécessité, de la part de son directeur, Frederick Freeman Proctor, un investissement d'un million de dollars et pouvait, selon The Daily Times du 10 octobre 1895, « rivaliser sur tous les plans avec les grands music-halls de Londres ».

Le New-York Daily Tribune avait annoncé la veille que
« [les] débuts américains de Mlle. Polaire » auraient lieu le lendemain. Et que jusque-là elle n'avait été engagée qu'un fois pour se produire à l'étranger, à Saint-Pétersbourg.

New-York Daily Tribune – 6 octobre 1895

New-York Daily Tribune6 octobre 1895

« Les débuts américains de Mlle. Polaire auront lieu demain. On dit qu'elle a beaucoup de charme. Jusque-là, elle n'avait été engagée qu'une fois pour se produire en dehors de Paris, et c'était à Saint-Pétersbourg. »

Un mois plus tard, le New-York Times, dans son édition datée du dimanche 3 novembre 1895, écrit qu'un certain nombre d'artistes, dont « Mlle. Polaire, qui doit bientôt retourner aux Folies Bergères, à Paris » resteront à l'affiche du Protor's Pleasure Palace pour la semaine (soit, probablement, jusqu'au samedi 9 novembre). Polaire y aura donc chanté pendant quatre semaines.

Mais Polaire ne rentre pas à Paris et le
New-York Times du 10 novembre 1895 nous apprend qu'elle chante ensuite au Proctor's Theatre :

The New-York Times - 10 novembre 1895

Proctor's Theatre – « Avec Mlle. Polaire, la piquante parisienne, Billie Barlowe, la britannique et Maud Raymond, la new-yorkaise, le public du Proctor's Theatre, dans la vingt-troisième rue Ouest trouvera cette semaine trois genres contrastés de chanteuses de music-hall, chacune en étant représentative à sa manière. »

Le Proctor's Theatre en 1893

Le Proctor's Theatre en 1893Entrée située
141
Ouest 23ème Rue près de la Sixième Avenue

Polaire n'y chante qu'une semaine car le New-York Times daté du 17 novembre nous apprend qu'elle va chanter la semaine suivante (à partir du 18) au Koster & Bial's. Nous avons d'ailleurs trouvé deux petites publicités publiées dans deux numéros du quotidien The Sun les 17 et 24 novembre 1895 sur lesquelles on voit apparaître le nom de Polaire (Mlle. Polaire sur la première et Polaire sur la seconde).

Publicité parue dans The Sun – 17 novembre 1895

Publicité parue dans The Sun17 novembre 1895

Publicité parue dans The Sun – 24 novembre 1895

Publicité parue dans The Sun24 novembre 1895

La dernière mention de Polaire dans un quotidien américain daté de 1895 que nous ayons trouvée est une publicité publiée dans le New-York Daily Tribune du 26 novembre 1895. Polaire semble donc n'avoir chanté que deux semaines au Koster & Bial's, sans doute jusqu'au 30 novembre 1895. Et l'on peut penser qu'elle est rentrée en France début décembre.

Son séjour à New York aura duré pratiquement deux mois.


L'intégralité de ce site (textes et images numériques) est © www.polaire-1900.com 2006-2024